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10/05/2007

J’ai quitté « Les Nouvelles »

La blogosphère est un espace de liberté. Et de convivialité. Afin de répondre à certaines interrogations, j’ai décidé de dire ici les raisons de mon départ du journal « Les Nouvelles » pour d’autres horizons. Confessions intimes.

Le 25 avril 2007, j’ai quitté « Les Nouvelles » où j’étais co-rédacteur en chef, membre du troïka du comité de rédaction. La raison est toute simple : il y avait un litige que je n’ai même pas essayé d’arranger pour la simple et bonne raison que cela fait des mois que je prépare ma sortie. Je n’étais plus à l’aise car l’esprit du journal ne me plaisait plus avec une ligne éditoriale qui a bifurqué vers une pravdaïsation.

Ceci dit, j’ai connu d’excellents moments aux « Nouvelles » que j’ai rejoint à sa fondation, en février 2004. J’ai alors quitté « L’Express de Madagascar », où je tournais en rond, pour un nouveau challenge : un nouveau quotidien. Arrivé aux « Nouvelles », je me suis vite imposé en devenant rédacteur en chef adjoint, à l’époque où le chef était Christian Chadefaux, Français de peau mais Malgache de cœur. Par la suite, Ultima Média, l’éditrice des « Nouvelles » et de son faux jumeau « Taratra », décide de créer un autre quotidien, people, « Le Courrier ». On me propose d’en être le rédacteur en chef. J’ai accepté car, selon ce que j’ai dit aux propriétaires, texto : « je sais que vous allez le faire avec ou sans moi ; alors autant le faire avec moi ».

C’était une grande ambiance. « Le Courrier » était le desk idéal. On était libre de faire le journal sans aucune pression. On s’est beaucoup amusé. Mon anecdote préférée est la venue, au journal, d’une délégation de parlementaires et de notables Tim pour protester contre un article qui met en cause la bonne moralité d’un maire. Ils étaient venus dans l’idée de nous secouer les puces. Il n’en sera rien. Mieux : ils sont revenus avec du whisky et du snack à gogo et on a fait la fête au desk. La liberté de ton du « Courrier » m’a valu de s’attirer la foudre des confrères, dont certains gardent une dent contre moi jusqu’à présent, surtout lorsque j’ai accepté de publier des articles concernant des scandale, généralement de mœurs, impliquant des journalistes. J’aimerais dire ici qu’à aucun moment, je n’ai obligé mes journalistes à écrire ou à publier des sujets qui ne les plaisaient pas. Ils partent à la chasse aux infos et me proposent le fruit de leurs collectes. C’est ainsi que, en assistant à des procès publics, un journaliste m’a emmené deux affaires de mœurs impliquant des journalistes. Pour moi, la nécessité d’informer passe avant une quelconque copinage. D’autant plus que ces infos ne viennent pas d’un paparazzi ni d’une confession privée : elles étaient recueillies dans le cadre d’une agora, devant une parterre de public. Elles ne relèvent donc pas d’un cadre privé, encore moins confidentiel. Après tout, on se permet bien de fustiger ce qui n’est pas correct dans la société, allant jusqu’à publier des ébats sexuels strictement privés ! Alors, il faut éviter de traîner des casseroles, surtout si l’on a une notoriété publique. On ne peut pas dire ce qui ne va pas chez les autres si l’on n’est même pas propre chez soi. Le jour où j’aurais des procès publics, pour une affaire de mœurs ou pas, je ne m'offusquerai pas si la presse en parle. Par contre, ma vie privée, tant qu’elle reste dans un cadre strictement personnel, ne doit faire l’objet d’aucune intrusion étrangère. C’est ma conception de l’information. On est libre de la partager ou pas.

Après l’expulsion de Christian Chadefaux, en mars 2006, en raison de ses écrits pas toujours tendres envers le régime Ravalomanana, « Le Courrier » était fusionné avec « Les Nouvelles », rubriques et personnel compris. Je me retrouve donc dans le Comité de rédaction des « Nouvelles ». C’est moi-même qui a demandé personnellement l’intégration de Renaud Rianasoa Raharijaona au sein du comité. Je tiens à le dire pour éviter tout malentendu, surtout concernant sa fulgurante promotion. Renaud a commencé aux « Nouvelles » à 21 ans et alors qu’il était encore étudiant, en 2004. J’ai tout de suite repéré en lui un bon élément. Quand Chadefaux a demandé mon avis si on doit l’embaucher ou pas, j’ai dit oui, sans hésiter. Chadefaux était «expulsable » car étranger. Moi, on ne peut que fermer ma gueule. Cela ne tardera pas à arriver, en octobre 2006, peu avant la présidentielle, où on m’interdit d’édito après un article sur l’avion que Ravalomanana a acheté pour faire campagne. Je trouve scandaleux que la Jirama doit supplier la Banque Mondiale pour avoir un crédit de 5 millions de dollars alors que, finalement, on peut trouver cet argent à Madagascar même, si chacun veut bien y mettre de la bonne volonté. Sinon, comment expliquer que l’on a réussi à trouver 2 millions d’euros en un temps record pour acheter un avion qui servira juste à semer des promesses d’abondance à des gens dont les trois quart vivent avec 1 dollar par jour ? « Il y a des colères saines », comme disait Ségolène Royal.

Peu de temps auparavant, dans la semaine du 11 septembre, je me suis déjà fait taper sur les doigts après l’édito « Silence, on tue ! », que l’on peut retrouver sur mon blog. J’ai réussi des messages de félicitations de la part de mes lecteurs. Mais l’ambassade des Etats-Unis a protesté et la direction a jugé bon de l’appuyer en disant qu’il ne fallait pas le publier dans la semaine du 11 septembre où le peuple américain se remémore une blessure importante dans son histoire. J’aime les Etats-Unis. Comme la majorité des gosses des pays en développement, et même d’ailleurs, de surcroît grand fan de rock’n roll, j’ai toujours idéalisé « l’Amérique ». Mais pas au point de rester muet devant ses dérives. Et le souvenir du 11 septembre était le moment idéal pour lui faire bien comprendre, sans être islamiste ni partager les idées d’Al-Qaïda, que ce qui arrive personnellement aux Etats-Unis est rien par rapport à la souffrance d’autres peuples en raison de ce que les Américains font. J’étais agréablement surpris quand, quelques minute après sa victoire, Nicolas Sarkozy s’est adressé à Washington en ces termes : « j’estime que le peuple américain est suffisamment grand pour ne pas faire obstacle à la lutte contre le changement climatique dont l’enjeu concerne l’avenir de l’humanité ».

Finalement, l’expulsion de Chadefaux, le scandale autour d’une caricature de Ramafa sur Koffi Annan et qui a provoqué la colère du président Ravalomanana, provoquant la démission du directeur de publication de « Les Nouvelles », ainsi que les intérêts personnels des propriétaires, tout cela en s’additionnant ont conduit à un changement de la ligne éditoriale des « Nouvelles ». La consigne était alors de ne plus faire des vagues. « Ce n’est pas notre rôle de chercher la vérité, on laisse cela à ‘ La Gazette ’ », a-t-on entendu dire lors d’une conf’red ! En tant que journaliste, je ne peux m’aligner sur cette position. Depuis, je me suis mis à préparer mon départ.

En janvier 2007, un chef d’entreprise et ami achète une station de télé. J’ai toujours rêvé du petit écran où l’on peut montrer ce que les écrits n’arrivent toujours pas à exprimer. J’ai décidé de le rejoindre. D’autant plus que le jour de mon anniversaire, un autre problème survient. Le fils de la chanteuse Sheila a protesté contre un article sur sa personne. Il ne conteste pas la vérité des écrits, basés sur son livre autobiographique et qui a fait le tour de la presse mondiale. Il déplore seulement le fait que l’on en parle à un moment où il veut s’établir à Madagascar ! Il a fait lui-même des révélations personnelles sur sa vie, a permis à la presse étrangère d’en parler, mais défend aux Malgaches le droit de le savoir. La direction du journal a jugé bon de s’aligner sur sa position et m’a convoqué pour s’expliquer. La veille, j’ai bouclé mon accord avec la station de télé. Je n’ai donc rien dit, en plus de ce que j’ai déjà écrit préalablement, pour me défendre. Peut-on licencier quelqu’un qui est déjà sur le point de partir ?  Je projetais de quitter « Les Nouvelles » après mon retour de Paris, en juin. Cette affaire a précipité les choses. Tant pis, je n'aurais pas à faire valoir une clause de conscience. Mais tant mieux car j'étouffais. « Merci de m’avoir délivré d’un fardeau qui commence à me peser », ai-je simplement dit à mon Directeur général avant de quitter la salle.

Je ne crache pas sur la main qui m’a nourri. Par honnêteté, et parce que je voulais que le journal continue malgré tout, je n’ai rien dit à la rédaction de mon départ, sauf aux deux autres membres du comité, la veille du 25 avril. J’ai laissé à la direction le soin de dire ce qu’elle veut, pour ne décourager personne.

Je suis journaliste. Je m’efforce toujours d’apporter ma contribution au développement de mon pays, voire du monde, à travers mon travail. Ce qui implique que je ne peux rester silencieux devant l’injustice et devenir complice de dérives qui peuvent être fatales pour l’avenir de chacun. J’ai mes idéaux. Ils ne souffrent d’aucun compromis.

Randy Donny     

 

"La Gazette de la Grande Ile" a parlé de mon départ dans sa livraison du samedi 12 mai 2007, p. 3. L'article est basé sur ce que j'ai ci-dessus écrit. J'assume tout, mais je tiens à préciser que je n'ai envoyé un quelconque communiqué à la presse.medium_1268lagazette.jpg  

"La Gazette de la Grande Ile" a sorti un autre article, le jeudi 24 mai 2007 en p. 3, pour dire que j'ai alerté la presse par un mail du 9 mai 2007. J'estime qu'il y a un distingo à faire entre envoyer des mails à des confrères et amis dans un but purement privé pour leur dire de visiter mon blog où j'expliquerai à ceux qui s'interrogent les raisons de mon départ, "quand j'aurai un peu plus de temps pour m'asseoir devant un ordy" (sic) et une invitation à écrire un article. Je respecte la longue expérience des journalistes de "La Gazette de la Grande Ile" qui, je l'espère, sont de bonne foi et les remercie de s'être alerté après mes "confessions intimes" sur mon blog. C'était une réaction naturelle pour des gens qui ont "l'instinct de l'information", comme disait Patrick Poivre d'Arvor. En tout cas, c'était sympa. Surtout en ce moment où des nuage noirs planent sur la profession. Ceci dit, je ne souhaite pas polémiquer sur un sujet qui n'en a pas besoin. Pour moi donc, cette affaire, qui n'en est pas une, est close et il n'y a pas de raison d'en faire tout un plat. 

Commentaires

Salut Randy Donny. En tout cas, t'as fait ton choix, maitenant, bon courage car la télé c'est vraiment autre chose.
Mais t'es un professionnel, donc l'adaptation sera plus facile
Ciao

Écrit par : B. Jean Yves | 12/05/2007

Courage leitsy e

Écrit par : Francis Rasoam | 12/05/2007

celui qui crie la vérité doit avoir un cheval assez costaud pour se tirer le plus loin possibleaprès son forfait.
j'ai admiré ton courage et lu tes articles et tes coups de gueule en exil. je n'ai pas toujours partagé tes opinions mais respecté ta personnalité .c'etait évident qu"ils"devaient réagir.connaissant ton temperament et tes convictions je n'ai aucun doute pour ton avenir..je crains par contre pour celui de tes censeurs. Madagascar est en train de vivre une hemoragie d'intellectuels et grande gueule et polemistes ,je crains pour la liberté d'opinion dans mon pays .....courage

Écrit par : ROSSY | 14/05/2007

Randy Donny, manohana anao zato isan-jato ny tenako am fiarovanao ny fahalalahanao hiteny. Inona moa ny maha-mpanao gazety ny mpanao gazety raha hotapenam-bava sy hoferana am asa aman'andraikiny? Tsy mora ho an'ny rehetra ny mijoro saingy nosaloranao ny fahasahina.
Mahaleova mahalasana am toerana vaovao misy anao!

Écrit par : maya | 14/05/2007

Cher ancine collègue,

Bravo, mille fois bravo pour ton courage. Je sais combien il n'est pas évident de parler, mais là, quand on est encore sur place... Chapeau !! Enfin, la presse malgache a un digne représentant.

Baovola

Écrit par : Baovola Fidison | 18/05/2007

La conscience a un prix, Garde ta tête haute et bonne vent ;)

Écrit par : tomavana | 20/05/2007

En vérité, tu l'as dit... Ha! Ha! Ha! Merci de rappeler ici le nom de la personne qui t'a souuflé le mot "PRAVDAÏSATION" !

Écrit par : Andry Hialy | 20/05/2007

On a eu des red-chefs qui nous ont inspiré, et puis, un à un, ils sont obligés de partir. mais cela ne changera pas ma conception de ce métier de rêve que j'exerce. au plaisir de te revoir dans une autre dimension. en attendant, Snaaaaack!!!

Écrit par : Anjara N | 20/05/2007

Votre histoire est touchant. Si j'ai compris, vous n'en pouvez plus de "respecter la ligne éditoriale". Mais... tout journal a son "ligne éditorial". Du moins, ce que je vois ici à Montréal : aux élections et à ces moments litigieux, comme maintenant oU le gvt québecquois risque de tomber, tous les éditorialistes et analystes tiennent "la ligne"; en dehors de ça, chacun peut s'y mettre de leur ... "parti pris".

Et je comprends que vous êtes encore bien LIBRE et toujours LIBRE ...

Écrit par : rhaj | 29/05/2007

je n'ai pas pu m'empecher de me plier en deux en lisant votre billet.

ce n'est pas tant le scenario de la chose qui a amene a votre demission-licenciement qui me pousse ainsi. c'est plutot le fait que vous ayez cru pouvoir travailler en grand seigneur du journalisme, tout imbu du feu sacre, dans une publication qui sent la couardise a plein nez.

ce n'est pas un secret pour personne que les proprietaires de les nouvelles (les andriatsitohaina dont les ascendants ont ete ambassadeurs du temps de la royaute malgache), a l'image de nombreuses familles bourgeoises ou aristocratiques de tananarive, entretiennent des relations economiques incestueuses avec tous les tenants des pouvoirs. des pouvoirs, et pas du pouvoir. ces riches, qui l'ont toujours ete, s'arrangent pour que leurs interets soient a l'abri des mouvements et des sautes d'humeur de tous les politiciens de tous les bords.

il m'a semble au tout debut de la parution de ce titre que celui-ci a eu une ligne editoriale semblable a celle de l'express de madagascar, critique et independante. mais je vois que les choses ont ostensiblement change depuis un an comme vous l'avez dit si bien dans le billet.

je me suis un peu renseigne sur l’equipe actuelle de ce journal et ce que j’ai pu entendre ne me dit rien qui vaille. quand vos anciens patrons ne veulent dans la direction de la redaction que des pions poussoirs, des illustres inconnus au bataillon, cela fait du journal ni plus ni moins qu'une agence de com qui joue les putains de la republique. mais j'ai quand meme ete un peu choque d'apprendre qu'il y ait de nombreux jeunes plumes au sein de cette redaction, et a qui on fait ingurgiter des fausses verites sur ce qu'est le journalisme ou une ligne editoriale. ces jeunes, ils vont croire toute leur vie que c'est comme cela dans toutes les redactions du monde. ce qui est malheureux.

comme vous vous etes senti petit et incapable de bouger a l'interieur de cette bulle. donc je dis tout simplement que celui qui a tort dans l'histoire, c'est bien vous et pas eux. vous aviez fait fausse piste et tant pis pour vous. vous pourrez plus tard vous consoler en vous disant que vous n'aviez pas ete de ceux qui ont enterre six pieds sous terre une certaine idee ou une idee certaine du journalisme dans votre charmant pays auquel j'attache une affection particuliere.

Écrit par : vazaha | 29/05/2007

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