31/12/2021
"En démocratie, une autorité est reconnue non pas parce qu’elle est hiérarchique, mais parce qu’elle est compétente"
Randy Donny, Rapporteur Général du Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l'Etat de Droit (HCDDED) nous parle "d'éthique du pouvoir" que le HCDDED est censé observer selon l'article 43 de la Constitution. Ceci est d'autant plus important qu'un certain nombre de scandales, autant politique que touchant les mœurs, ont émaillés les actualités de ces derniers mois. Réflexions.
"Demokrasia" : L’article 43 de la Constitution fait du HCDDED le gardien de l’éthique du pouvoir. C’est quoi l’éthique du pouvoir ?
° Le pouvoir allie à la fois puissance et autorité. Il s'agit d'une capacité de commander, de se faire obéir et de punir. Tout ceci laisse le champ libre, si le détenteur ne fais pas attention, à des abus. Comme disait Calliclès, un personnage de dialogue de Platon, un homme juste qui aurait du pouvoir deviendrait injuste. John Emerich Dalberg, lord Acton, historien et homme politique britannique du XIXème siècle, a sorti cette réflexion surprenante : « le pouvoir rend fou, le pouvoir absolu rend fou absolument ».
Alors, si on considère que l'éthique est un ensemble des principes moraux qui sont à la base de la conduite de quelqu'un, il doit donc avoir une éthique du pouvoir afin que les dirigeants aient le pouvoir de réfléchir sur les valeurs qui leur servent à prendre une décision et à mesurer son impact, apprendre à réfléchir par soi-même, au-delà des lois, des normes et des mœurs.
L'éthique fait référence à nos valeurs. Le sujet ici n'est pas de savoir si on a le droit de faire tel ou tel geste comme avec la loi, ou si ce que l'on fait est bien ou mal, comme avec la morale. On ne doit pas se demander si on doit faire ou ne pas faire quelque chose; on doit se demander pourquoi. Réfléchir sur l’usage que l'on fait de son propre pouvoir, du pouvoir qui l'on nous a confié...
Il s’agit d’un concept non seulement peu connu mais surtout non respecté. Quel en est la raison ?
° Peu connu, non. Non respecté, oui. Encore une fois, c'est en fonction de nos valeurs. Vous savez, le mot pouvoir vient du latin « poterer » qui signifie capacité, faculté, permission ou possibilité matérielle de faire quelque chose. Tout dépend donc de la compréhension et du jugement que chacun a de ce concept. Or, ceci s'opère en fonction d’un cadre de référence propre à chacun, lequel est éminemment subjectif et s’inspire, consciemment ou inconsciemment, par transformation, appropriation ou rejet, de référentiels culturels, religieux, philosophiques ou économiques... On est ce que notre parcours existentiel nous a façonné.
Habituellement, on conçoit le pouvoir comme une domination de l'homme sur l'homme, un rapport de force entre celui qui commande et celui qui obéit. Le gouvernant fait du pouvoir sa propriété, un instrument de commandement pour l'exercer sur les autres. Hannah Arendt critique cette manière de penser. Pour cette philosophe et journaliste dont un des ouvrages, "La crise de la culture", fait partie de mes livres de chevet depuis mes tendres années, le pouvoir doit se fonder sur le respect, un sentiment que nous inspire la reconnaissance de la dignité de personne humaine. Ceci rejoint le nouveau testament qui propose le pouvoir comme choix de se placer au « service de ».
En démocratie, on confie une tâche à quelqu’un. Le problème est que le mandat est souvent assorti d’avantages en termes d’argent ou de prestige. Ce qui peut mettre les principes éthiques à rude épreuve. Aucune personne n’en est préservée d’office.
A l'étranger, dès qu'un dirigeant fait l'objet d'un scandale, politique ou autre, il démissionne. Ce n'est pas le cas chez nous où l'on se contente d'attribuer ces scandales aux adversaires politiques ou à des ragots. Qu'en pensez-vous ?
° A Madagascar, le pouvoir est considéré simplement comme une puissance. Or, dans le cadre d’une autorité légale, c'est aussi et surtout une responsabilité. Et si cela arrive, on considère la responsabilité simplement comme un devoir de répondre devant ses supérieurs. Or, c'est aussi et surtout un devoir de répondre devant les citoyens, moralement plus qu’institutionnellement; et surtout, éthiquement, devant soi-même. Malheureusement, devant la dictature du paraître et la tyrannie de l'image, la dimension éthique tend à s'effacer pour laisser la place à un ego surdimensionné où les valeurs morales et culturelles ont perdu leur raison d'être.
Vous savez, un ancien ministre britannique des Affaires étrangères, David Owen, a décrit un phénomène pour le moins étranger : le syndrome d'Hubris, une pathologie du pouvoir. Il a dressé une liste de treize comportements caractéristiques du syndrome d’Hubris. Ils vont de parler de soi à la troisième personne, à une identification totale entre le sort de l’individu et de l’institution qu’il dirige en passant par la croyance que seule l’histoire pourra juger de ses décisions.
C'est dramatique car, comme disait le romancier français Hervé Bazin dans "Ce que je crois", "tout pouvoir qui cultive l'hypocrisie de sa perfection ne tombe pas seulement dans le ridicule et dans les excès de la dévotion à lui-même ; il détruit l'espoir de la nature humaine en la continuité du progrès".
Quel est le rôle du HCDDED pour que la classe politique, les organisations de la société civile ainsi que les simples citoyens fassent montre d’une éthique politique pour faire émerger des « Hommes d’Etat » ? Quels pourraient être les blocages et comment les surpasser ?
° Chacun doit toujours avoir à l'esprit que le pouvoir ne doit pas provenir de la force (autoproclamation), mais d’une élection démocratique ou d’une délégation hiérarchique (désignation). Ce pouvoir est cependant limité par le droit administratif et les lois de la République qui sanctionnent tout abus du pouvoir (harcèlement moral ou sexuel, par exemple).
Dans une démocratie, assumer son rôle et exercer sa puissance tout en laissant une juste place aux autres acteurs est un exercice complexe qui s'apparente à de l'art. En démocratie, une autorité est reconnue non pas parce qu’elle est hiérarchique, mais parce qu’elle est compétente. Une autorité incompétente peut légalement se faire reconnaitre par la force, mais c’est sa compétence qui assoit véritablement sa légitimité. Le respect ne s'impose pas, il se mérite. Enfin, des institutions démocratiques stables sont les meilleures garanties contre les dérives.
Interview paru dans "Demokrasia", la revue du HCDDED, n°11, août - septembre - octobre 2021, pp. 08 & 10.
Journaliste, Randy Donny a une expérience particulière avec un enjeu éthique qui comportait une clause de conscience : réprimandé pour avoir invité une personnalité qui ne cadre pas dans la ligne éditoriale de l'entreprise de presse où il avait une émission et était l'un des employés les mieux payés, il a préféré démissionner.
20:23 Publié dans Edito, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : madagascar, demokrasia, randy donny | Facebook
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