27/01/2009
Madagascar brûle-t-il ?
Boîte de Pandore. La démonstration de forces entre Andry TGV Rajoelina, maire de la capitale, et Marc Ravalomanana, président de la République, a débouché par des scènes de pillages et d'incendies criminels à Tananarive, lundi 26 janvier 2009, et dans certaines grandes villes de provinces mardi. On a même enregistré des morts : deux abattus par les militaires qui gardaient l'accès de la MBS, le groupe de médias appartenant à Ravalomanana, et 11 ensevelis par les décombres lors du pillage de Magro, le supermarché appartenant toujours au président Ravalomanana (décidemment) à Tanjombato. La demande de réouverture de la télévision Viva, appartenant à Andry TGV, s'est élargi vers une contestation du pouvoir en place. "Des faits anodins peuvent provoquer des mouvements d'importance", ai-je écrit dans le livre sur Mahaleo en parlant de la grande grève de mai '72.
Les mouvements populaires sont cycliques à Madagascar. Généralement, ils se produisent tous les dix ans. Ceci s'explique par le fait que les mouvements de rue ont été toujours vu d'un mauvais oeil par les autorités. Les grèves reprimées provoquent ainsi un effet boule de neige dans l'esprit des gens. Et oui, exhiber des banderolles dans la rue entre copains tout en braillant des slogans à la con a des vertus de salubrité publique, une soupape de sécurité qui permet d'évacuer le trop plein de frustration. Autrement, son refoulement permanent entraîne une névrose collective, grosse d'une explosion sociale. Méditation. Ceci dit, il ne s'est pas encore passé dix ans depuis l'arrivée de Ravalomanana au pouvoir il y a... 7 ans. Mais justement, le 7 est le chiffre fétiche du président.
Des observateurs ont fait des parallèles avec des manif' historiques pour le mouvement actuel. Comme en 2002, il oppose un maire et un président de la République. On parle aussi d'une répétition de l'histoire. En fait, le mouvement actuel est un condensé des anciennes manif" depuis l'indépendance avec un zeste de '72 (les jeunes et la contestation du néocolonialisme agraire), une grosse pincée de 1991 (non à la dictature d'un président affairiste et arrogant et à celle de son parti), saupoudré par les scènes de pillages des émeutes de 1981... Andry TGV parle de bandes organisées et payées par les pro-Ravalomanana, genre TTS sous Didier Ratsiraka, pour instaurer un climat de terreur en vue de l'instauration d'une Directoire militaire. On ne peut nier le fait que l'incendie de la MBS est la responsabilité de l'aile dure du mouvement "pro-Viva" qui trépignait d'impatience d'en découdre acta non verba avec le régime Ravalomanana. Des anciens cadres MFM, spécialistes des actes de déstabilisation, ralliés à Andry TGV ont été vu revenant d'Anosipatrana. La formule qui a donné naissance au pillage est donc simple : bande payée + aile dure + opportunistes de tout bords, tout contents de piller les marchandises des grandes surfaces qu'ils ne pourront peut-être jamais se payer vu la dégradation du pouvoir d'achat depuis 2002. Dans la nuit, ils seront relayés par des simples bandits de grands chemins qui vont semer la terreur dans la ville. Si ce n'est pas une émeute de la faim, que cela y ressemble...
Les deux protagonistes auraient dû parler autour d'une table-ronde aujourd'hui à midi avec la bénédiction des chancelleries étrangères établies à Madagascar. Mais au dernier moment, Andry TGV a posé des conditions préalables à toute négociation dont le renvoi hors de Madagascar des mercenaires étrangers "importés" par Ravalomanana pour pallier à la défection des militaires qui l'ont complètement lâché. Malgré tout, et nonobstant la démonstration de force d'une centaine de milliers de mécontents qui sont descendus dans la rue et les pertes de ses biens se chiffrant des centaines de milliards de francs malgaches lors des pillages, Ravalomanana demeure toujours aussi arrogant, allant jusqu'à parler de tout faire pour cesser qu'il ait des "mpilahatra" (les manifestants de rue) dans son intervention téléphonique sur radio Antsiva, mardi. Après les joutes verbales, on s'achemine vers une guerre d'usure. Le denouement au mois de mai ?
Pascal Chaigneau, bien connu du côté d'Androhibe, parle de la curieuse place qu'occupe ce mois dans l'histoire de Madagascar dans "Rivalités politiques et socialisme à Madagascar", CHEAM, Paris, 1985, p. 62. "En effet, écrit-il, si cette île se trouve, selon les astrologues, placée sous le signe zodiacal du Sagittaire (21 novembre-20 décembre) c'est toujours en mai que se sont produits les événements marquants de son histoire :
- 11 mai 1863, le peuple tananarivien, entraîné par le ministre de la Guerre, Rainivoninahitriniarivo, décapite la monarchie merina en assassinant SM Radama II.
- Mai 1916 : transfert au bagne de Nosy Lava des dirigeants VVS.
- 19 mai 1929 : Manifestation indépendantiste à Tananarive (dans le sang).
- 14 mai 1939 : Election du pasteur Ravelojaona à la première élection d'un représentant autochtone au Conseil Supérieur de la France d'Outre-Mer (décret Mandel).
- 19 mai 1946 : Manifestation indépendantiste à Tananarive (affrontements très violents avec la police coloniale)".
On peut y ajouter, puisé toujours dans l'ouvrage de Pascal Chaigneau, outre mai '72 bien sûr, "la tentative d'insurrection paysanne dans le Sud de l'île (région de Tuléar) en mai 1971 (Bilan offiiel : 25 morts, plusieurs centaines selon le parti MONIMA)... Violentes manifestations dans le Nord du pays (Nosy-Be, Sambava et Antsiranana) entre avril et juin 1982 (Bilan officiel : 40 morts, plusieurs centaines selon les partis UDECAM et MONIMA)" (p. 149).
En attendant le denouement de l'histoire, force est de constater qu'à part le chômage provoqué par la fermeture des entreprises pillées, les dommages collatéraux ont particulièrement touchés les médias. Aucune chaîne de télé dans la nuit de lundi. Aucune radio d'information sauf RDB et radio Antsiva depuis dimanche. L'incendie de Blueprint appartenant à Ravalomanana a entraîné la cessation de parution de "Ny Vaovaontsika" et du "Quotidien" tandis que, noyés dans une fumée épaisse, l'imprimerie Niag n'a pu sortir "Taratra", "Les Nouvelles", "Tribune de Madagascar", "Inona no Vaovao ?" et "La Vérité". La Une de "La Vérité", ci-contre est donc collector. Le numéro n'a pu être commercialisé et était seulement visible sur le net.
Tana brûle. Le progrès aussi.
15:30 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : madagascar, émeutes, marc ravalomanana, andry rajoelina, tgv, actualité, presse | Facebook