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26/01/2009

Où on parle de néocolonialisme agraire

« La vérité est comme du feu, il brûle celui qui le cache ». Ce proverbe malgache n’a jamais dollar.jpgété si bien illustré que par l’affaire Daewoo. Le gouvernement malgache y accorde l’exploitation de 1.3 millions d’hectares à Madagascar par la société Daewoo, plus connue à Madagascar par ses voitures, pour une durée de 99 ans et sans que personne ne sache les contreparties financières. Au début, le gouvernement malgache a tenté de nier l’existence de l’accord. Effectivement, les demandes étaient plus modestes au début. Finalement, lorsque les révélations sont devenues plus conséquentes, le gouvernement a tenté d’expliquer en disant que le projet est encore au stade d’étude, qu’aucun terrain n’a encore été octroyé. Mais le mal est fait. Ce mensonge d’Etat, qui n’est pas sans rappeler la Charte Lambert qui a causé la perte du roi Radama II. Ce dossier fait partie des sujets de mécontentement qui provoque actuellement l’embrasement du climat politique à Madagascar. Même les paysans coréens n’y voient aucun intérêt pour Madagascar. Leurs avis sont ici. Et déjà, le cas ouvre un débat international sur le « néocolonialisme agraire », illustrés par ces deux articles de MFI. Manifestement, le cas n'intéresse pas que Madagascar. On n'est pas sorti de l'auberge.


(MFI) En louant leurs terres arables, les pays en développement peuvent-ils moderniser leur agriculture et gagner des devises, ou subissent-ils la loi du plus fort ? Les contrats sont-ils forcément léonins ou peuvent-ils être « gagnants-gagnants » ? Sur ces questions, les avis sont tranchés.
D’un côté, les multinationales et les pays acquéreurs de terres agricoles à l’étranger : pour eux, cela ne fait aucun doute, ces contrats représentent une opportunité pour des pays parfois très pauvres. De l’autre, les mouvements écologistes et les associations de défense des droits humains : ils dénoncent le déséquilibre de ces contrats et les dérives inéluctables d’une telle pratique. Au centre, les institutions internationales – en premier lieu, la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture – : elles restent circonspectes, mais ne veulent négliger aucune source d’enrichissement pour certains Etats en grave difficulté financière, rappelant que la course à la terre a historiquement toujours existé.
Des pays en développement demandeurs
Spécialiste des questions foncières à la FAO, Paul Mathieu estime, dans Le Monde, que « ce phénomène comporte des risques, comme l’expropriation des paysans les plus pauvres. Mais il peut aussi constituer une opportunité. A l’échelle mondiale, il faut augmenter la production agricole. Un accord gagnant-gagnant suppose des apports de capitaux et de technologies pour améliorer la productivité des terres, en veillant à ne pas sacrifier les habitants. De tels contrats doivent s’inscrire dans un processus de développement durable ».
Au demeurant, la demande vient parfois des pays détenteurs de terres eux-mêmes. Ainsi, l’Indonésie et la Papouasie ont démarché des investisseurs saoudiens, leur offrant un million d’hectares pour qu’ils puissent y produire des céréales. Le ministre kazakh de l’Agriculture expliquait à la BBC : « Nous disposons de terres en abondance, mais nous n’avons ni silos ni routes ni chemins de fer. Nous n’avons pas non plus le savoir-faire pour améliorer le rendement de nos cultures, et nos moyens financiers sont limités. Louer nos terres, en surveillant de près la rédaction du contrat, constitue pour nous une excellente solution. » Le Kazakhstan propose ainsi à des firmes étrangères des concessions sur les terres pour dix ans maximum. A Madagascar, le président Marc Ravalomanana souligne que l’accord conclu avec Daewoo Logistics permettra de moderniser l’agriculture et créera 70 000 emplois. Un chiffre moins impressionnant qu’il n’y paraît cependant pour la location de 1,3 million d’hectares pendant 99 ans. « Ils ont les terres, nous avons l’argent », résume sobrement un investisseur saoudien dans le Wall Street Journal.
La FAO refuse de priver des pays – parfois parmi les plus pauvres de la planète – d’une telle manne, mais elle entend éviter la spéculation sur la terre et l’expropriation des petits producteurs. Elle est donc en train de concevoir des outils de politique foncière à conseiller aux Etats concernés. Pour David King, le secrétaire général de la Fédération internationale des producteurs agricoles, cité par le Financial Times, l’équation est simple : « Si un investissement risque de détruire l’agriculture locale, il faut le refuser. S’il apporte des nouvelles technologies dont les agriculteurs bénéficieront, sa venue peut être positive. »
Menaces sur l’environnement et l’économie
Une équation trop simple cependant car le déséquilibre entre des Etats riches ou des multinationales et des pays aux caisses désespérément vides est évident. Sans compter les risques de corruption. Quant à la loi, elle reste une protection illusoire. Ainsi la législation malgache interdit à un opérateur étranger d’acheter plus de 2,5 hectares. Du coup, Daewoo Logistics a conclu, sur 1,3 million d’hectares, un contrat de location… de 99 ans. Pourtant tenu à une certaine obligation de réserve comme tout diplomate onusien, le directeur général de la FAO, Jacques Diouf, avoue redouter, dans la multiplication de ces acquisitions de terres agricoles à l’étranger, « l’émergence d’un pacte néocolonial pour la fourniture de matières premières, sans valeur ajoutée pour les pays détenteurs des sols ».
De leur côté, les Ong insistent sur les nombreuses dérives possibles, voire inéluctables. D’abord celle de renforcer les monocultures intensives, considérées comme l’une des causes du désordre alimentaire actuel. C’est ce qu’écrit Grain, une association de défense de l’agriculture traditionnelle, basée à Barcelone : « Dans la mesure où la plupart de ces acquisitions visent à mettre en place de grandes exploitations agricoles industrielles – que ce soit au Laos, au Pakistan ou au Nigeria – pour produire des denrées alimentaires destinées à l’exportation, elles favorisent un modèle industriel d’agriculture qui a engendré pauvreté et destruction de l’environnement. » Un avis partagé par le géographe Christian Bouquet : « A Madagascar, malgré les promesses de Daewoo Logistics, les terres cédées seront exploitées sur un mode intensif. Quatre hommes et une hyper-mécanisation remplaceront 2 000 familles pour gérer 1 000 hectares. On peut déjà imaginer l’exode vers les bidonvilles de ces familles chassées. Le gouvernement malgache est dans une logique d’ultra-libéralisme. En outre, la valeur symbolique de la terre pour les habitants est totalement négligée. »
De son côté, Alain Karsenty, du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) explique que « la déforestation risque de s’aggraver puisque les terres agricoles vont alors acquérir une valeur supérieure à celle des espaces forestiers ».
Un Monopoly immoral ?
Dans un article au vitriol publié dans Le Nouvel Observateur, le journaliste Doan Bui compare ces acquisitions à un Monopoly d’un genre nouveau : « Le Soudan, j’achète ! Le Kazakhstan, j’en revends une partie ! Imaginez un Monopoly où l’on n’achèterait plus des rues, mais des pays entiers. Comme au Monopoly, les gagnants seraient ceux qui amasseraient le plus de terres, bref les plus riches à la banque. Les perdants ? Ce serait les fauchés, obligés de céder leur bout de terrain pour renflouer leurs caisses. Ce Monopoly serait un peu particulier. Il s’agirait non pas de construire des immeubles, mais d’installer des tracteurs et des machines agricoles pour produire du blé, du riz, du maïs. Bref de la nourriture. Ce serait un jeu où les nantis, au lieu de piquer l’hôtel de la rue de la Paix au voisin ruiné, lui faucheraient ses récoltes futures. Le problème est qu’il ne s’agit pas d’un jeu. »
Ces achats de terres arables à l’étranger posent des problèmes environnementaux, économiques puisque le pays loueur n’y gagne pas nécessairement et agit parfois sous la contrainte de la misère, des problèmes sociaux aussi avec les risques d’expropriation des paysans. Ils posent enfin un problème moral. Les surfaces exploitées se trouvent parfois dans des pays qui ont connu, ces derniers mois, des émeutes de la faim. Leur seule richesse est l’agriculture, et elle sert à nourrir les ressortissants de pays riches alors que comme, en Haïti, les habitants en sont réduits à manger des galettes de boue.
« Il ne faut pas noircir le tableau à l’excès », estiment en substance les experts de la FAO, qui rappellent que parmi les pays qui cèdent leurs terres, tous ne sont pas dans l’extrême misère ; que certains contrats sont justes ; qu’il s’agit aussi d’un moyen de développer le potentiel agricole d’une région. L’organisation onusienne reconnaît cependant le danger potentiel du système. Pour l’économiste Louis Bourgeois, cité par Le Monde : « Si un pays riche manque de ressources, il ne doit pas assécher les marchés, au risque d’affamer les pays en développement. Aucun pays ne peut déléguer sa sécurité alimentaire à d’autres. »

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La course aux terres agricoles se mondialise


(MFI) Pour garantir leur sécurité alimentaire, certains pays riches – notamment moyen-orientaux et asiatiques – louent ou achètent des superficies croissantes de terres arables dans des pays en développement. Certains voient là un contrat « gagnant-gagnant » : de l’argent et des technologies contre des terres. D’autres dénoncent un néocolonialisme agraire, soulignant que la capacité de négociation d’un pays pauvre est limitée face aux moyens financiers d’une multinationale ou d’un Etat prospère. Plusieurs pays qui louent ainsi leur sol ont connu des émeutes de la faim en 2008.
Quels sont les pays qui achètent des terres arables à l’étranger ?
En novembre 2008, le Financial Times révèle une information jusque là restée confidentielle : le groupe sud-coréen Daewoo Logistics a acquis à Madagascar 1,3 million d’hectares de terres, sous la forme d’un bail emphytéotique de 99 ans. Jamais un accord d’une telle importance n’avait été signé dans le domaine agricole. La superficie représente en effet la moitié des terres cultivées de la Grande Ile. A en croire Yong Nam-Ahn, le président de Daewoo Logistics : « Les terres louées seront mises en valeur par de la main d’œuvre locale, formée par des ingénieurs coréens et sud-africains. Les terres de la partie Est de Madagascar produiront 500 000 tonnes d’huile de palme par an, celle de la zone Ouest 4 millions de tonnes de maïs. » Sachant que la Corée du Sud importe chaque année 11 millions de tonnes de maïs, on comprend l’intérêt d’un tel contrat. Cela d’autant que Daewoo Logistics ne versera pas un centime pour la location du domaine. Il s’est par contre engagé à mettre en valeur les terres exploitées et à construire les infrastructures voulues : routes, voies ferrées, équipements portuaires, silos, bâtiments de stockage… Des investissements estimés à 6 milliards de dollars sur 25 ans. « Cet accord va permettre de moderniser l’agriculture du pays et nous apporter des devises », s’est félicité Marc Ravalomanana, le président malgache. Les experts sont plus sceptiques. Ils pointent du doigt les risques d’expropriation des petits paysans. En outre, pendant 99 ans, toute la production repartira vers la Corée, quelle que soit l’évolution de la situation économique et agraire de Madagascar.
Ce contrat fait du Pays du Matin calme – ainsi qu’on surnomme la Corée du Sud – le premier acquéreur de terres agricoles dans des pays en développement : 2,4 millions d’hectares, soit davantage que les terres cultivées dans la péninsule. Séoul n’est pas la seule à pratiquer cette politique. C’est aussi le cas de la Chine, du Japon, de l’Arabie Saoudite, du Koweït, du Qatar, des Emirats arabes unis… Bref, de tous les pays qui ont des populations nombreuses à nourrir, mais ne disposent pas d’assez de terres arables. C’est pour eux le – seul ? – moyen d’assurer leur sécurité alimentaire. La hausse des prix des denrées alimentaires ces derniers mois, additionnée aux difficultés d’approvisionnement, ont encouragé cette « chasse à la terre ». Comme le raconte Jean-Denis Crola, de l’Ong Oxfam, dans Le Nouvel Observateur : « Les pays du Golfe importent 90 % de leur nourriture. En période de volatilité des cours, c’est risqué. Au printemps 2008, ils ont eu peur ; il était impossible de trouver du riz, dans n’importe quel pays, à n’importe quel prix. Les Etats du Golfe n’ont plus confiance dans les marchés mondiaux. Ils veulent sécuriser leur approvisionnement en achetant de la terre. Leurs revenus pétroliers leur en donnent les moyens. » L’été dernier, le Koweït, le Qatar, l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes ont envoyé leurs ministres dans un tour du monde express – six pays visités en dix jours – à la recherche de terrains disponibles. Le Cambodge, l’Indonésie et le Soudan ont été particulièrement courtisés. « C’est un accord gagnant-gagnant. Ils ont les terres, nous avons l’argent », déclarait un responsable saoudien au Wall Street Journal.
Ces acquisitions de terre à l’étranger sont-elles un phénomène récent ?
Paradoxe : la hausse des prix des denrées alimentaires est notamment due à la croissance démographique et économique de pays comme la Chine ou l’Inde. Et ce sont eux qui ensuite acquièrent des exploitations à l’étranger pour sécuriser leur alimentation. « Qui va nourrir la Chine ? », s’interrogeait dès 1993 l’écologiste Lester Brown. L’Empire du milieu doit nourrir 1,4 milliard de bouches, soit près du quart de la population mondiale, avec seulement 7 % des terres arables. Et le problème ne va qu’empirer. Du fait de son industrialisation et de son urbanisation, le géant asiatique a perdu 8 millions d’hectares de cultures ces dix dernières années.
« D’autres pays vont arriver sur le marché prochainement. D’ici trois ans, la culture du coton ne sera plus subventionnée aux Etats-Unis. Les exploitants américains loueront alors des terres au Burkina Faso pour le cultiver, ce qui aggravera l’exode rural dans ce pays », avertit le géographe Christian Bouquet. L’Union européenne est peu présente dans ce grand « Monopoly des terres ». Elle dispose de suffisamment d’hectares pour nourrir ses habitants. Mais une firme comme Danone envisage d’acheter des fermes en Afrique australe pour se prémunir contre l’augmentation du prix du lait. « La quête de terres n’est pas un phénomène nouveau, mais on assiste à une accélération incroyable ces derniers mois, et c’est la première fois que le phénomène est aussi mondialisé », constate Paul Mathieu, expert en gestion foncière auprès de la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.
De nouveaux acteurs interviennent-ils sur ce marché ?
« Investissez dans des fermes ! Achetez des terres ! » C’est le credo de Jim Rogers, un magnat américain de la finance, créateur avec George Soros du fonds d’investissement Quantum. Il y a peu encore préoccupation exclusive des Etats et des sociétés agroalimentaires, l’achat de terres attire désormais aussi des acteurs financiers. « Si des sociétés financières, des banques, des assurances, des fonds de pension disposent de milliards de dollars, pourquoi n’investiraient-ils pas dans l’agriculture ? », plaide Jim Rogers. Les exemples sont nombreux en effet : la Deutsche Bank a investi massivement dans des fermes en Chine, Renaissance Capital, un hedge fund russe, s’est offert 300 000 hectares en Ukraine, le Japonais Kobe Bussan 3 000 hectares en Egypte… L’explication est simple : les Bourses sont en chute libre, l’immobilier incertain, le pétrole en baisse ; par contre, les cours des denrées alimentaires restent orientés à la hausse. Ces opérations sont parfaitement légales depuis que la Banque mondiale a décrété le principe d’universalité des terres ; c’est-à-dire qu’au nom de la défense de la sécurité alimentaire, tout le monde peut les acheter. « Autrefois, on utilisait la force militaire pour asservir les populations faibles. Aujourd’hui, le droit des affaires est respecté : on ne spolie plus, on achète ou on loue », ironise Christian Bouquet, dans Le Monde.
Tout le monde ne partage pas en effet l’analyse du financier Jim Rogers. « On ne peut pas appliquer les règles du capitalisme aux exploitations agricoles des pays du Sud. La sécurité alimentaire n’est pas un produit comme un autre, sur lequel on parie un temps avant de s’en désintéresser quand sa rentabilité baisse. La spéculation sur la terre provoquera l’appauvrissement et l’expulsion des paysans les plus pauvres, et portera atteinte à la souveraineté des pays concernés », s’insurge Jean-Denis Crola, d’Oxfam. Par définition, les placements financiers sont éphémères alors que le développement agricole nécessite de s’engager dans la durée. La plus grande prudence s’impose donc. « Si nous nous étions laissés faire, c’est l’ensemble des terres sénégalaises qui serait aujourd’hui entre les mains d’investisseurs étrangers », témoigne, dans Le Monde, Abdourahim Agne, le ministre sénégalais de l’Aménagement du territoire. En outre, il ne faut pas négliger la dimension symbolique de la terre pour les populations.
Quels sont les pays qui acceptent ainsi de vendre leurs terres ?
Soudan, Ouganda, Ethiopie, Cameroun, Angola, Nigeria… L’Afrique est le continent le plus courtisé par ceux qui cherchent à sécuriser leurs approvisionnements. Faut-il s’en étonner ? Nombre de pays n’ont pour seule richesse que leur terre, sans souvent avoir les moyens de l’exploiter. Ainsi à Madagascar, on estime le potentiel agricole à 35 millions d’hectares, mais seuls 3 millions sont cultivés. « L’Afrique à vendre », dénonçait récemment un article de Jeune Afrique, rappelant le caractère sacré du sol dans la plupart des pays du continent et s’inquiétant des risques pour les agriculteurs locaux : « Force est de constater que les investisseurs les plus riches disposeront toujours d’arguments imparables pour convaincre les Etats économiquement faibles. Et que les paysans risquent d’être particulièrement vulnérables face à des intérêts qui les dépassent. » Mais le magazine reconnaît aussi que ce commerce de terres arables constitue une opportunité s’il s’effectue dans la transparence : « Si l’Afrique dispose d’un immense potentiel agricole, les capitaux manquent encore cruellement (…) Compte tenu de l’état de déliquescence des filières agricoles de nombreux pays subsahariens, cette ruée vers la terre peut aussi être une chance. » De son côté, le Madagascar Tribune met en cause la politique du président Ravalomanana « qui ne cache guère sa course à la recherche de gros investisseurs et qui fonde ses espoirs sur les étrangers plutôt que sur les hommes d’affaires locaux. Pourquoi les politiques de développement des régimes successifs n’ont-elles jamais été mises en œuvre ? Elles permettraient au moins aux multinationales et à certains pays étrangers de cesser de croire qu’ils peuvent coloniser notre terre en échange de quelques routes, écoles et hôpitaux ».
Outre l’Afrique, quelles sont les régions concernées ?
Plusieurs pays asiatiques attirent aussi les investisseurs en mal de riz, légumes et autres oléagineux : le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Pakistan, le Cambodge, la Thaïlande, le Vietnam… Mais la logique n’est pas toujours au rendez-vous. Ainsi, le Cambodge loue des terres au Koweït. Or le pays bénéficie de l’assistance du Programme alimentaire mondial. Comment un Etat qui a besoin de l’aide internationale a-t-il des surfaces arables en quantité suffisante pour les mettre à la disposition d’un autre pays avant de satisfaire les besoins de sa propre population ?
En Amérique latine, la Chine loue des terres au Mexique, l’Arabie Saoudite au Paraguay, la Corée du Sud en Argentine. Depuis 2000, le Brésil a concédé 5 millions d’hectares à des firmes agroalimentaires étrangères, notamment pour la culture du soja destiné à la fabrication de biocarburant. L’occasion de noter que, si pour l’essentiel les propriétaires des terrains cédés sont des pays du Tiers-monde, certains sont des Etats globalement riches, mais sous-peuplés par rapport à l’étendue de leurs surfaces agricoles. On l’a vu avec le Brésil. C’est aussi le cas de l’Australie (sur un autre continent) et de l’Argentine dont 10 % du territoire appartient à des étrangers. Tous ne sont pas des « agro-businessmen ». Plusieurs personnalités (comme Bill Gates ou Ted Turner, le fondateur de CNN) possèdent des milliers d’hectares, en Patagonie notamment. Mais de grands groupes viticoles français, italiens et espagnols sont aussi installés dans la province de Mendoza, aux pieds de la Cordillère des Andes ; les producteurs de céréales, eux, ont jeté leur dévolu sur la Pampa. De quoi faire réagir les associations écologistes, mais aussi l’Eglise catholique, qui dénoncent la multiplication des conflits avec les communautés indigènes (les Mapuches en particulier), la privatisation des accès aux rivières, aux forêts, aux sentiers de montagnes. « Les petits paysans et les tribus indiennes sont parfois violemment expulsés de leurs terres. Mais cela se passe loin de Buenos Aires et les autorités ne disent rien. Ces investissements sont rentables et il n’existe aucun contrôle quant aux conséquences écologiques, sociales et financières », regrette l’économiste Miguel Teubal, interviewé par Le Monde.
Certains spécialistes des questions foncières veulent croire que ces acquisitions de domaines agricoles à l’étranger peuvent déboucher sur du « gagnant-gagnant » à condition d’encadrer strictement les contrats et de protéger les droits des populations locales (voir article ci-après). D’autres dénoncent au contraire un néocolonialisme agraire et s’inquiètent des conséquences environnementales, sociales et économiques de telles pratiques. Parmi eux, les associations de défense des droits humains, mais aussi le directeur général de la FAO, Jacques Diouf.
Reste qu’il paraît humainement inacceptable que des surfaces agricoles de pays qui – comme l’Egypte, les Philippines ou le Sénégal – ont connu des émeutes de la faim en 2008, soient consacrées à la sécurité alimentaire des habitants des pays les plus riches.

Jean Piel

14/01/2009

Vol au-dessus d'un nid de pourris

La politique n'use que si l'on en suce. Usés, frippés, vieuxdinosauré, les politiciens africains continuent néanmoins à monopoliser le pouvoir.   Les partis politiques n'y sont que des coquilles vides à l'intérieure desquelles on pioche des courtisans. Versailles a sa réplique dans chaque capitale africaine. Madagascar n'échappe pas à la règle. La loi sur les partis est un remake du FNDR du temps béni du Socialisme : seuls ses membres peuvent se présenter à une élection. Mais la loi sur les partis est surtout la tête de pont d'une série de réforme constitutionnelle qui conduira vers des mandats illimités; bref, une constitution costardisée sur mesure à la taille de l'hurluberlu Ubu de lui-même qui, depuis le renversement du roi Venceremos (bah... "rouge"), mange "fort souvent de l'andouille" dont son pays regorge et s'est procuré "une parapluie" vert armé pour se protéger des alertes.

L'article suivant, de MFI, en apporte une lumière aveuglante. A vos narines... pardon, à vos lunettes !Stop.Francafrique.jpg

Quand les intrigants se pressent autour du chef de l’Etat, la démocratie est en danger ! Car le maintien à tout prix de la position juteuse au bord de la mangeoire, qu’ils pourraient perdre si le président venait à se retirer, passe alors avant l’intérêt général.

A chacun sa croix ! Tandis que le Ghana ploie sous les compliments, le Niger, lui, offre le spectacle d’un bras de fer entre ceux qui voudraient voir le président Tanja prolonger son bail à la tête de l’Etat et ceux qui s’opposent fermement à toute remise en cause des dispositions constitutionnelles. A la fin de cette année 2009, le chef de l’Etat nigérien aura bouclé son second mandat. Dix ans ! Soit le maximum qu’autorise la Constitution. Ses partisans parlent d’une œuvre à parachever et mobilisent, manifestent, occupent à grands frais l’espace médiatique, pour obtenir la prolongation du règne. Face à eux, la société civile et les syndicats s’organisent pour empêcher ce qu’ils considèrent comme un recul de la démocratie. Le chef de l’Etat lui-même ne dit rien.

Et c’est bien ce qui inquiète une partie de l’opinion. Car, dans tous les pays du continent qui se sont livrés à ce jeu, c’est toujours par des manifestations d’une spontanéité suspecte que commence la mise en scène. Lorsque l’opinion aura été bien conditionnée, le président pourra alors apparaître, pour expliquer qu’il lui est impossible de résister à la volonté populaire. En avant, la présidence à vie ! De bonne source, Mamadou Tanja lui-même aurait confié à ses pairs de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), en décembre dernier, à Abuja, qu’il n’avait aucune intention de se maintenir. Il ne devrait donc, en principe, pas aller contre la Constitution de son pays.

Le problème, en Afrique, est que le chef de l’Etat est trop souvent encerclé de gens qui désirent le voir s’incruster. Non pas tant parce qu’ils l’aiment d’un amour inextinguible, mais parce que, la plupart du temps, ils lui doivent tout et se préoccupent de leur propre avenir. La position juteuse qu’ils pourraient perdre au bord de la mangeoire, si le président venait à se retirer, passe alors avant l’intérêt général.

A force de concentrer les critiques sur le président, on en arrive à oublier tous ces courtisans et ces intrigants, nationaux comme étrangers, qui sont autrement plus dangereux pour la démocratie. Par le passé, ils ont souvent eu le dessus, en Algérie, au Cameroun, au Gabon, en Guinée, au Tchad, au Togo ou en Tunisie. Ils échouent aussi, de temps à autre, comme en Zambie, au Malawi ou, plus récemment, au Bénin et au Nigeria. Le défi, aujourd’hui, est donc de leur faire échec au Niger, en soustrayant le chef de l’Etat à l’influence de ceux qui orchestrent la spontanéité de ces foules de manifestants. Ce n’est pas le plus facile. Car les griots sont là, au réveil du chef, et ils sont encore là, tard le soir, pour éteindre les lumières, au moment où celui-ci s’endort. Mais puisque ces gens sont généralement d’une servilité sans borne, il suffirait que le président dise qu’il s’en ira pour les voir chanter, avec des arguments tout aussi convaincants, la grandeur et la lucidité de l’homme d’Etat.

Jean-Baptiste  Placca

24/12/2008

Sombres souhaits

Season's greetings. Normalement, en cette période de fêtes, on souhaite des bonnes choses. Avec la mort de Fory Coco, le dictateur de Guinée Conackry, j'ai envie de souhaiter autres choses. Je souhaite que 2008 emporte avec lui tous ces messieurs qui se croient grands et qui plongent leur pays dans la misère au nom d'une démocratie du bout des lèvres. A commencer par Mugabe-le-fou dont les mérites d'avoir mené son pays vers l'indépendances sont tombés en ruine devant l'appauvrissement généralisé où il a précipité le Zimbabwe. Et dire que ce mec-là viendra à Madagascar pour le sommet de l'Union africaine l'année prochaine. C'est à s'inventer une poupée vaudoue que l'on habillera d'aiguilles.

En Afrique, prendre le pouvoir, c'est chercher tous les moyens pour y rester le plus longtemps possible. Madagascar n'échappe pas à la règle. Même si, en bons insulaires que l'on est (les Anglais y savent quelque chose, n'est-il pas ?), on y déteste toute comparaison avec le grand continent noir. "Mourir au pouvoir", aurait parié Tito. La levée du rideau de fer a révélée le cadavre en décomposition d'une Yougoslavie que les seigneurs de la guerre se sont empressés de dépecer.

"Je vais terminer mon mandat en 2010. Celui qui n'est pas content n'a qu'à quitter la Guinée...",  aurait déclaré Fory Coco qui porte bien son nom. Lundi 22 décembre 2008, la Grande fauche l'a emporté rejoindre son principal allié, le diable. Avant de mourir, il aura permis à "Midi Flash" de réaliser un petit record de vente le mercredi 19 décembre 2008 lorsque Fory Coco fut à la Une de cet hebdomadaire (ci-dessous). Au grand dam d'une partie de la rédaction, outrée par le fait que, en malgache, le nom rappelle une partie de l'anatomie féminine qu'il est culturellement-correct de taire.

Pet à son âme et à tous ceux qui font honte à la démocratie. En cette saison des voeux, je leur souhaite tous les malheurs du monde.

Midi Flash.JPG

19/12/2008

Je rêve d'un deep throat malgache

Je rêve d'un deep throat malgache. Je préfère utiliseJe cehrche vérité.jpgr le surnom en anglais car "Gorge profonde", en français, invite à d'autres réflexions. Je rêve donc d'un gorges profondes pour révèler à la face de Madagascar, d'abord, et à celle du monde, ensuite, toutes les magouilles qui se trament à travers l'histoire de cette grande île qui demeure naine. Même sans aller jusqu'à l'époque des royaumes, je rêve d'un deep throat pour le génocide du 29 mars 1947, l'octroi trop facile de l'indépendance en 1960, ceux qui ont trahi le peuple en 1971 dans le Sud et en 1972 sur la place du Treize-mai, l'identité du cerveau qui a tué Ratsimandrava en 1975, ainsi que les mobiles de la série d'accidents sous la Révolution socialiste, ceux qui ont vendu la mèche le 10 août 1991 et les bâtisseurs du centralisme démoncratique des affaires au service du Reich et de son führer depuis 2002 et qui a conduit à la division par deux du pouvoir d'achat...

Hélàs, mille fois hélàs, le courage n'est pas le cousin du fihavanana. Et au lieu d'en avoir, le Malgache préfère nager, même dans la gadoue. "Mbola tsy fotoanany izao". Ce n'est jamais le temps à Madagascar où les produits historiques ne connaissent jamais de prescription. Paix à l'âme de deep throat, le vrai, qui a fait tomber Nixon. Il vient de mourir. Avec le sentiment du service accompli.

Mark Felt, en 1976.
AP
Mark Felt, en 1976.

William Mark Felt, un ancien directeur adjoint du FBI connu sous le nom de Deep Throat, "Gorge profonde", est mort, jeudi 18 décembre, à Santa Rosa en Californie. Il avait 95 ans. C'est lui qui déclencha le scandale du Watergate, de 1972 à 1974, conduisant à la démission du président Richard Nixon, en 1974, pour avoir autorisé le cambriolage du comité de campagne du Parti démocrate dans les immeubles du Watergate, au bord du Potomac.

En juillet 2005, un article intitulé : "Je suis le type qu'ils appellent Deep Throat" publié par "Vanity Fair" avait révélé l'identité de Deep Throat, la source qui avait révélé toute l'affaire à deux journalistes du "Washington Post", Carl Bernstein et Bob Woodward.

Lemonde.fr

03/12/2008

Recul de Madagascar dans le classement mondial sur la démocratie

Après le classement sur la liberté de la presse par Reporters sans frontières, Madagascar y a brillé parMouton.jpg sa médiocrité, voici le classement mondial sur la démocratie. Là encore, Madagascar peut meeuh faire, comme disait la vache qui regarde passer le train. « The Economist », magazine respecté et respectable, je connais au moins quelqu’un à Madagascar qui le vénère, est à l'origine de ce classement dont j'ai connaissance que maintenant. Après avoir été classé 85è sur 167 pays en 2007, Madagascar rétrograde à la 90è place dans le classement fraîchement sorti en novembre 2008, derrière le Liban et devant Bangladesh. Madagascar y est classé parmi les pays dont la démocratie est considérée comme "hybride". Sadasada manan-tsoratra. Ca, c'est très malgache.

Voici le commentaire de MFI.

Ce 10 décembre marque le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’occasion de s’interroger sur les avancées de la démocratie dans le monde. Pour l’heure, 116 pays sur 167 de plus de 500 000 habitants respectent à des degrés divers les normes démocratiques. Pourtant, cette démocratisation marque le pas et 35 % de la population mondiale vivent toujours sous un régime autoritaire. La démocratie n’est jamais un acquis définitif : elle est régulièrement confrontée à des défis, comme l’actuelle crise économique et financière.

La démocratie progresse-t-elle dans le monde ?

Le 8 octobre dernier, Mohamed Anni Nashed – un ancien prisonnier politique – remportait contre toute attente l’élection présidentielle aux Maldives, mettant fin aux trente années de règne sans partage de Maumoon Abdul Gayoom, le plus ancien dirigeant en Asie. Quelques semaines auparavant, Fernando Lugo, surnommé « l’évêque des pauvres », était investi à la tête du Paraguay, sonnant le glas de soixante-et-un ans d’hégémonie du parti conservateur Colorado.

Ces deux exemples donnent à penser que la démocratie progresse dans le monde, et c’est effectivement le cas. Selon l’enquête réalisée chaque année par le magazine britannique The Economist, on compte aujourd’hui 116 pays (sur 167 étudiés) qui respectent globalement les normes démocratiques, soit 69,5 % de l’ensemble. Au milieu des années 1980, ce n’était le cas que de 46 % des pays concernés. Comme l’explique Laza Kekic, la responsable de l’enquête : « La fin des dictatures en Amérique latine et la chute du mur de Berlin ont permis de voir le nombre de démocraties progresser rapidement au cours des années 1990. Aujourd’hui, cette progression marque le pas. Le point positif est qu’on n’assiste pas à de graves retours en arrière. »

A partir d’un ensemble de critères tels que le mode de désignation du chef de l’Etat, les droits de l’opposition, les libertés publiques, la transparence des scrutins, la liberté de la presse, la participation électorale, la culture démocratique…, l’enquête de The Economist classe les pays en quatre catégories : démocratie réelle, démocratie perfectible, semi-démocratie (ou pays hybride) et régime autoritaire. Un type de classement toujours contestable, même si les critères retenus par The Economist se veulent aussi objectifs que possible. Ainsi, la Jordanie appréciera sans doute peu d’être considérée comme un régime autoritaire au même titre que la Birmanie, et on peut s’étonner de voir se côtoyer dans le même panier les mérites des démocraties danoise et américaine. Enfin, le Maroc (régime autoritaire) est-il vraiment moins démocratique que le Cambodge (pays hybride) ?

Selon cette enquête, on compte seulement trente démocraties réelles, représentant 14,4 % de la population mondiale. En tête du classement : la Suède, la Norvège et l’Islande. Dans cette catégorie, on compte vingt-et-un pays européens, les deux Etats nord-américains, deux latino-américains (l’Uruguay et le Costa Rica), deux asiatiques (le Japon et la Corée du Sud), un seul africain (l’Ile Maurice), ainsi que l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

Cinquante pays sont considérés comme des démocraties perfectibles : quinze européens (la Pologne, la Roumanie, l’Estonie…), dix-huit latino-américains (le Brésil, le Pérou, le Salvador…), dix asiatiques (l’Inde, la Malaisie, les Philippines…), un Etat du Moyen-Orient (Israël) et six africains (le Cap-Vert, la Namibie, le Bénin…). Trente-six pays appartiennent à la catégorie des semi-démocraties. C’est le cas de l’Albanie, de la Russie et de l’Arménie (parmi sept européens) ; de l’Equateur, du Venezuela et d’Haïti (pour l’Amérique latine) ; de Singapour, du Bangladesh et du Népal (parmi huit asiatiques) ; de la Palestine, du Liban et de l’Irak (pour le Moyen-Orient) ; du Sénégal, du Ghana et du Burundi (parmi quinze pays africains).

Enfin, The Economist considère que cinquante-et-un pays sont des régimes autoritaires. Ils représentent 34,9% de la population mondiale. Les trois plus redoutables seraient la Corée-du-Nord, le Tchad et le Turkménistan. Avec vingt-six nations concernées, c’est l’Afrique qui domine cette catégorie. On peut citer : le Niger, le Gabon ou le Soudan, suivie de onze pays du Moyen-Orient (dont le Yémen, l’Arabie Saoudite, la Syrie…), dix pays asiatiques (la Birmanie, le Vietnam, le Laos…), ainsi que la Biélorussie et Cuba.

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Quelles ont été les évolutions récentes dans ce domaine ?

Au chapitre des bonnes nouvelles, les progrès enregistrés dans trois pays d’Asie du sud : les Maldives, le Népal et le Bouthan. Aux Maldives, un opposant politique a mis fin au règne sans partage du chef de l’Etat en place depuis 1978. L’élection présidentielle a été transparente et le perdant n’a pas contesté le résultat.

Au Népal, la guérilla maoïste a déposé les armes après dix années de lutte, un accord de paix lui a permis de réintégrer le jeu politique et des élections législatives ont été organisées. L’ancien chef de la guérilla, Pushpa Karnal Dahal, a été nommé Premier ministre et la royauté abolie. En dépit des troubles politiques, le Népal connaissait de toute façon depuis longtemps une presse libre et le multipartisme, et on y trouvait des organisations non gouvernementales actives.

Enfin, le petit royaume himalayen du Bhoutan, qui se vante d’être le dernier shangri-la (« le dernier paradis sur Terre ») pour la préservation de son environnement, a organisé ses premières élections législatives en décembre 2007. Pour autant, le roi conserve son pouvoir, qui n’est pas synonyme d’atteintes aux droits de l’homme.

A noter enfin que la situation politique s’améliore au Pakistan, même si le pays est miné par la violence du fait de sa proximité avec l’Afghanistan. Le général Pervez Musharraf, qui s’était emparé du pouvoir par un coup d’Etat en octobre 1999, a démissionné et des élections législatives se sont tenues en février dernier.

Loin de l’Asie, le Paraguay a connu en 2008 sa première alternance politique en soixante-et-un ans. L’hebdomadaire de la gauche américaine, The Nation, espère que « Barack Obama corrigera les atteintes aux libertés publiques dont George Bush s’est rendu responsable, notamment au nom de la lutte contre le terrorisme. Qu’il s’agisse des écoutes téléphoniques sans autorisation, des personnes emprisonnées à Guantanamo sans inculpation, du poids croissant dans la vie publique des évangélistes intégristes ou de la dévalorisation du travail au profit du grand capital ». Il serait toutefois excessif de prétendre que les Etats-Unis d’Amérique ont cessé d’être une démocratie sous George Bush.

En Afrique, l’étude de The Economist accorde l’évolution la plus positive à la Sierra Leone, passée d’un régime autoritaire à une semi-démocratie grâce à l’élection en septembre 2007 de l’opposant Ernest Bai Koroma. « Une élection honnête et exempte de violences », note l’hebdomadaire britannique. La mise en place du Tribunal spécial international chargé de juger les responsables de la guerre civile qui a ravagé le pays de 1991 à 2002 contribue aussi à renforcer les institutions.

La démocratie a-t-elle connu de graves revers récemment ?

Les optimistes souligneront qu’aucune démocratie n’a sombré dans la dictature ces dernières années. Pour autant, le nombre de pays réellement démocratiques ne progresse pas : il est toujours de trente depuis 2005, représentant une petite minorité de la population mondiale. The Economist a par ailleurs rétrogradé quatre états du statut de démocraties perfectibles à celui de semi-démocraties. C’est le cas du Bangladesh, dirigé par un gouvernement « provisoire » qui a imposé l’état d’urgence depuis janvier 2007, alors que ce pays s’est longtemps vanté d’être un parangon de démocratie dans un contexte de grande pauvreté… De son côté, Hong-Kong subit une pression croissante de Pékin : la presse y est moins libre, le Parlement moins représentatif, les institutions davantage contrôlées… Les violences entre le Fatah et le Hamas dans la bande de Gaza, qui contraignent l’Autorité palestinienne à se réfugier en Cisjordanie, valent aussi à la Palestine de perdre des points… Enfin, le Mali est moins bien noté du fait des atteintes à la liberté de la presse et de l’insécurité croissante liée à l’insurrection dans le nord du pays.

Le Nicaragua pourrait suivre le même chemin. Réélu en novembre 2006, le président Daniel Ortega affirmait avoir « rompu avec le marxisme-léninisme » mais on assiste ces derniers mois à une concentration extrême du pouvoir et à une pression croissante sur les médias. La violence des gangs menace aussi la stabilité des institutions.

Ailleurs, du Zimbabwe à la Tunisie, en passant par l’Iran, le Tadjikistan ou le Congo, si les pays ne sont pas plus dictatoriaux, ils ne sont pas non plus davantage démocratiques. Comme le confiait au magazine Newsweek Vidar Helgesen, le secrétaire général de l’Institut international pour la démocratie et le droit électoral, basé à Oslo : « La situation politique au Moyen-Orient ne s’améliore pas. L’espoir suscité par les révolutions de couleurs dans plusieurs ex-pays soviétiques est en train d’être déçu, et les tendances autoritaires s’aggravent en Russie. En Amérique latine, les progrès ont été extraordinaires tout au long des années 1990 mais on assiste aujourd’hui à un retour du populisme, des atteintes à la liberté de la presse et aux droits des associations. L’ampleur des inégalités sociales pose aussi problème. Cela prouve que la démocratie n’est jamais un acquis définitif. » Un avis partagé par Laza Kekic, la responsable de l’enquête de The Economist : « Les discours contre les immigrés en Europe, notamment en Autriche, au Danemark et aux Pays-Bas, représente potentiellement une menace contre les normes démocratiques. De même, en Europe de l’Est, après l’enthousiasme de la chute du communisme et de l’adhésion à l’Union européenne, on assiste aujourd’hui à une radicalisation des idées et à une vague populiste, qui démontrent la faiblesse de la culture démocratique dans cette région

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La démocratie reste-t-elle un modèle dans le monde ?

Selon une enquête menée en 2006 par le Programme des nations unies pour le développement (Pnud), les habitants de la majorité des pays se disent partisans de la démocratie, souvent associée à un meilleur accès aux soins, à l’éducation, à une moindre corruption, à de la promotion sociale. « C’est pourquoi on ne peut plus imaginer un régime démocratique sombrer dans la dictature, ou alors pas longtemps. Le sens de l’Histoire conduit inéluctablement vers la démocratie », assure Vidar Helgesen. Sociologue au Centre de recherche politique de Delhi, Ashish Nandy estime pour sa part que « l’Inde est présentée abusivement comme la plus grande démocratie du monde. C’est au mieux la plus peuplée, et notre régime politique reste imparfait. Cela dit, si un pays aussi divers et inégalitaire que l’Inde n’a jamais été une dictature, c’est parce que les plus pauvres ont toujours eu l’espoir d’améliorer leur sort grâce à leur bulletin de vote, qu’ils n’hésitent pas à renvoyer un député qui ne travaille pas pour sa circonscription. La démocratie permet de se projeter dans l’avenir, d’où la stabilité du pays. » De son côté, le politologue américain Francis Fukuyama, cité par Le Monde, souligne que « les gouvernements autoritaires d’aujourd’hui ont peu de points communs entre eux. A la différence du passé, aucun ne possède la combinaison de force, de cohésion et d’idées requise pour dominer le monde. Aucun ne rêve d’abattre l’économie mondialisée. Le modèle n’est pas de leur côté ».

Et pourtant… Vladimir Poutine atteint des records de popularité dans une Russie où l’opposition n’a plus droit de cité, où les médias sont aux ordres, où les gouverneurs ne sont plus élus mais nommés, où l’armée commet les pires exactions en Tchétchénie. Vladimir Poutine apparaît comme un homme fort, qui restaure l’honneur de la Russie et qui favorise la croissance économique. « Le culte de l’homme providentiel, qui restaure l’ordre et la prospérité, même au prix d’entorses à la démocratie, n’a pas disparu. On le voit en Russie, et en Colombie avec Alvaro Uribe. Le besoin de débats d’idées, de respect de la liberté à tout prix est une notion occidentale. Même les Américains, au nom de la lutte contre le terrorisme, ont accepté que les libertés publiques soient rognées », souligne Pascal Pétillon, chercheur en relations internationales au CNRS. Pour Zaki Laïdi, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, cité par Le Monde : « Avoir mené la guerre en Irak en affirmant vouloir y implanter la démocratie a porté un coup très dur au modèle démocratique occidental. Il suffit de se rappeler le scandale de la prison d’Abou Ghraib. La démocratie ne s’exporte pas. Même les citoyens d’un régime autoritaire défendront leur souveraineté face à la tentative d’imposer un autre modèle de l’extérieur. En outre, le “deux poids deux mesures” qui fait qu’un dictateur en Irak est un ennemi mais un autre en Arabie Saoudite un ami, décrédibilise la prétention des Etats-Unis d’imposer leur modèle. »

Dans un autre registre, The Jakarta Post s’interrogeait récemment : « Dix ans après la fin de la dictature de Suharto, la démocratie progresse en Indonésie… mais l’intégrisme islamique aussi. La corruption reste forte et l’économie se dégrade, au point que beaucoup d’Indonésiens se demandent si la démocratie n’est finalement pas plus un mal qu’un bien. »

Jean Piel